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Entretien avec Cheikh Mbow, directeur général du Centre de suivi écologique, Université de Pretoria, Afrique du Sud

Cheikh Mbow, directeur général du Centre de suivi écologique, Université de Pretoria, Afrique du Sud, membre du Conseil scientifique d’Agropolis Fondation depuis 2020, s’est prêté au jeu des questions à l’attention des membres du CS...

Pourquoi êtes-vous devenu chercheur ?

Permettez-moi de répondre plutôt sur le « comment » je suis devenu chercheur, le « pourquoi » n’est pas forcément une décision personnelle et du coup m’échappe. Devenir chercheur n’était pas mon rêve de jeunesse. J’envisageais d’entrer dans les services techniques du gouvernement sénégalais ou dans l’armée, en passant le concours des hautes écoles professionnelles. Après une maîtrise en biogéographie, j’ai intégré un bureau d’étude qui travaillait sur la gestion durable des terres comme stagiaire. J’ai passé tout un été à parcourir des villages et collecter des données, analyser des situations et proposer des solutions pour le développement local. Ce travail temporaire m’a permis d’acquérir des connaissances pratiques sur l’agriculture, l’horticulture et l’agroforesterie. Je me suis dit que ça c’est peut-être une activité professionnelle aussi exaltante que de servir l’État. J’ai décidé alors de passer le concours de l’Institut des sciences de l’environnement (ISE) de la Facultés des sciences de l’Université de Dakar. Avant même de finir le DEA (Diplôme d’Études Approfondies) on m’a offert une bourse dans le cadre d’un programme du gouvernement du Danemark sur le renforcement des capacités de recherche. J’ai pu faire une thèse avec ce programme après plusieurs séjours au Danemark. Il s’est trouvé que depuis déjà mon enfance, j’ai été fasciné par les sciences de la vie, avec une attraction irrésistible pour les plantes. Des séances de germination in vitro, à mon premier verger que j’ai fait à 11 ans, j’essayais de tester toutes connaissances apprises à l’école, juste pour comprendre comment la nature fabrique ce que nous mangeons. C’est peut-être de la que la fibre pour la recherche s’est installée. Vous voyez bien entre une passion d’enfance et le hasard d’un parcours, je suis devenu par la force des choses un chercheur. Du coup, c’est juste la conséquence de circonstance inopinées et des rencontres avec de grandes personnalités scientifiques qui m’ont mis sur ce métier, qui m’est apparu par la suite comme l’un des plus beaux et des plus utiles au monde.

Que signifie pour vous une « communauté scientifique » ?

La notion de communauté traduit déjà une adhésion à une cause, une raison de vivre, un leitmotiv et une conformité a une aspiration commune. Malheureusement, cette notion de « communauté scientifique » traduit souvent un esprit corporatiste, un groupe professionnel. Pour ma part, je ne saurais réclamer mon appartenance à une communauté si c’est seulement pour constituer en soi une force d’action ou de pression. La raison en est que je ne suis pas intéressé par les rapports de pouvoir qui conduisent à l’art de vaincre par la raison. Par contre l’art de convaincre sans chercher à dominer pourrait constituer ma philosophie de vie. Du coup je suis totalement ouvert aux oppositions d’idées, à la rigueur rationnelle qui permet de revoir des certitudes et identifier les faits d’une particulière singularité permettant d’améliorer le monde du vivant, de l’humain. Pour moi alors, la communauté scientifique signifie rien d’autre que des personnes qui ont pris fait et cause pour produire et échanger des idées fructueuses plutôt que de faire une course pour des idéaux. L’unification des groupes sociaux à travers la connaissance est peut-être ce qui devrait justifier l’existence et le rôle de cette communauté scientifique. Comme telle, cette communauté n’exclut aucun autre groupe épistémique, ni les sociétés privées et publiques, ni les communautés humaines unies par des liens séculaires, même si dans de nombreuses situations ces groupes n’ont pas toujours les mêmes ambitions de société.

Quelles sont vos attentes/ambitions en participant au conseil scientifique de la Fondation ?

Je n’ai pas à vrai dire des attentes ou des ambitions en rejoignant le Conseil scientifique d’Agropolis Fondation. Je présume que c’est un espace pour donner et recevoir des idées permettant de faire avancer la science. J’y viens alors, avec une très grande ouverture d’esprit et une posture de partage. Les termes de ces échanges souvent arrivent naturellement ; et c’est au fil du temps qu’on pourra dire ce qu’on y gagne et ce qu’on apporte à l’institution. Aussi, encadrer la recherche fait partie de mes activités au quotidien, et l’évaluation de projets présente une dimension pédagogique qui complète notre devoir de relayer des expériences acquises ailleurs. Mon engagement au sein d’Agropolis Fondation est aussi un devoir moral. Pendant toute ma carrière, j’ai eu des appuis et une franche collaboration pour mener des activités de recherche. Pour tous ces projets que j’ai menés, des collègues ont sacrifié de leur temps et de leur énergie en se rendant disponibles aux institutions comme Agropolis Fondation pour sélectionner, évaluer et aider à la mise en œuvre de projets de recherche. Par conséquent, il s’agit d’un réel honneur d’avoir été choisi pour jouer ce rôle pour d’autres. La chaîne continue !!
Je voudrais aussi signaler que la science n’a pas pour objectif de distribuer des gloires individuelles, mais c’est un espace où la performance des institutions prévaut sur les bénéfices personnels de leurs membres. Donc ce qui est bon pour Agropolis Fondation est bon pour chacune personne qui y travaille. Dernier point, et ce n’est pas le moindre, je suis africain, et notre région ne manque certes pas de capacités, mais elle manque de façon criante d’opportunités surtout de financement de la recherche et de gestion le cas échéant de ces financements. Cette ouverture avec Agropolis Fondation m’aidera à mieux comprendre les enjeux et d’en faire un transfert dans nos pays.