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Interfaces : du champ à l’usine

Pourriez-vous présenter brièvement votre projet (origine, objectifs, principales actions) ?
Dominique Pallet (DP)  : Interfaces est né en 2015 d’une discussion entre directeurs de deux unités membres d’AF, à l’époque, Catherine Renard , directrice de SQPOV (remplacée ultérieurement par Véronique Broussolle à la coordination du projet) et moi-même, directeur de Qualisud. À l’occasion d’une réunion du Groupe des directeurs d’unités d’Agropolis Fondation, nous avons partagé des problématiques que l’on rencontrait, chacun de notre côté. En particulier, la question de savoir comment nos interlocuteurs privés transformateurs prenaient en compte la diversité, la variabilité, et l’hétérogénéité des matières premières dans leurs usines. Notre constat partagé était qu’ils manquaient de solutions techniques pour la prendre en compte. Il fallait faire communiquer transformateurs et producteurs… De l’usine au champ, deux mondes très différents, avec des acteurs, des cultures très différentes. Les mêmes différences étaient présentes dans le monde de la recherche, à l’instar de nos UMR, qui travaillaient chacune de façon totalement séparée.
Le projet a démarré en janvier 2017, il devait s’achever en décembre 2019 mais a été prolongé d’un an. On a choisi de l’appeler « Interfaces » car il se situe à l’interface entre production et transformation. L’idée était de créer des ponts, des liens de recherche (méthodes, concepts etc.) entre ces deux mondes.

Véronique Broussolle (VB) : Le projet s’inscrit également dans une démarche de durabilité des systèmes, pour éviter les pertes et gaspillages. Il s’agit aussi de travailler sur des systèmes de culture qui évoluent, notamment face au changement climatique, avec de nouvelles pratiques (bio, etc.). Le projet travaille sur trois productions : pommes, mangues, et raisin (ajouté au démarrage du projet à la demande d’Agropolis Fondation).
Il s’agit de produire des méthodes pour caractériser variabilité et hétérogénéité des matières premières et des indicateurs normalisés  : texture, qualités organoleptiques. Il faut aussi adapter la transformation à la matière première. Pour cela, des partenariats ont été montés avec différents acteurs, à travers notamment le Gis Fruit qui regroupe entreprises privées et organismes de recherche, mais également des centres techniques comme le CTIFL, le CTCPA, et des partenaires institutionnels. Ces acteurs ont été associés à des réunions du projet dans l’idée de le confronter aux utilisateurs.

DP : Le projet travaille sur les communautés microbiennes. Lorsque l’idée a germé, en 2015, c’était vraiment nouveau de travailler sur le continuum de l’écologie microbienne dans les produits.

VB : Effectivement, lorsque le projet a commencé, il existait peu de données bibliographiques sur le microbiote présent à la surface du fruit. Or cela participe de la vie du fruit, de sa qualité, sa préservation, son altération, les itinéraires techniques de transformation doivent donc le prendre en compte, et pas seulement les conditions pluviométriques ou d’ensoleillement des cultures.

DP : Aujourd’hui, sur ce sujet, il y a des publications concernant plusieurs espèces de fruits qui montrent qu’il y a une richesse importante du microbiote.

VB  : Il existe maintenant des méthodes moléculaires qui permettent d’explorer en profondeur (métagénomique) sa diversité voire décrire de nouvelles espèces, analyser comment la microflore varie en fonction du type de fruit, du type de production (bio-non bio), etc. Cela nous a permis également d’isoler des micro-organismes et constituer une souchothèque bactérienne et fongique. Par la suite, on pourra voir, par exemple, si certaines espèces fongiques peuvent être anti-bactériennes.

DP : Une action importante du projet repose sur la modélisation afin de mieux prédire la qualité du fruit et comment il serait transformé. D’un côté, nous avons des modèles physiologiques de la plante avec son fruit et de l’autre, des modèles physico-chimiques des procédés. Il est important de relier les deux types de modèles à un moment donné, afin que les sorties du modèle physio soient les entrées du modèle physico-chimique. Pour cela, on a réuni sur cette problématique des communautés scientifiques différentes. Parallèlement, le projet a développé une question issue des sciences sociales pour déterminer comment la variabilité des lots échangés entre producteurs et transformateurs impacte les transactions et contractualisations. D’autre part, les chaines logistiques de la pomme et de la mangue ont été étudiées en profondeur.

Quels sont les principaux résultats obtenus ?
VB  : Le projet a abouti à de nombreuses avancées en matière d’outils et de méthodes. En utilisant les infrarouges par exemple, on est arrivé à caractériser la qualité et l’hétérogénéité des fruits sans les détruire, ce qui est très utile dans les usines de transformation. Ces résultats ont déjà fait l’objet de publications et pourront être utilisés par les professionnels. Sur la mangue en particulier, les travaux ont porté sur le séchage et la corrélation couleur-maturité, important pour l’acceptabilité au niveau des consommateurs. Un séchoir expérimental a été conçu, puis construit afin de standardiser les opérations de séchage de la mangue à la Réunion.

DP : Un système de micro-fermentation du raisin a été mis au point dans des conditions contrôlées afin de maitriser et reproduire des fermentations pour étudier l’impact de l’hétérogénéité des baies de raisin. On a avancé sur la valorisation des résultats, avec le confinement, les partenaires du projet ont beaucoup travaillé sur les publications, pas mal de choses devraient sortir prochainement.

En quoi votre projet et le soutien de la Fondation à votre projet ont-ils eu un effet structurant sur la communauté Agro ?

DP : La structuration de la communauté était un des volets importants du projet. Il a vraiment permis à des communautés scientifiques qui ne se connaissaient pas de travailler ensemble. SQPOV et Qualisud n’avaient pas de projet commun avant Interfaces. Au-delà de ce partenariat, il a contribué à rassembler des chercheurs issus de disciplines très différentes, par exemple agronomie, microbiologie, génie des procédés ou encore SHS. Plusieurs unités ont discuté autour de cette thématique commune, PSH et Hortsys, sur la production arboricole, SPO, Qualisud et SQPOV sur la transformation et la qualité ainsi que Moisa, sur les contrats et les marchés.

VB  : Interfaces a aussi contribué fortement à la formation de jeunes chercheurs, avec sept doctorants, deux post-doctorants, 15 pré-doctorants (masters, etc.). Une dimension du projet importante et structurante, qui mérite d’être soulignée, d’autant que grâce à la pluridisciplinarité du projet, les doctorants provenant de France, d’Allemagne, de Chine, du Liban, du Maroc et du Sénégal auront bénéficié d’une grande ouverture. On a par ailleurs privilégié qu’ils communiquent prioritairement les résultats dans les réunions du projet, afin d’être mieux formés à cet exercice.

DP : Les résultats du projet doivent être présentés au cours d’un congrès international co-organisé à Avignon par SQPOV, Qualisud et le CTCPA. Initialement prévue fin mars-début avril, cette conférence internationale, qui comporte une session dédiée à Interfaces, a été reportée à la dernière semaine de novembre 2020.

Contact

Véronique Broussolleest directrice de recherche Inrae au sein de l’unité SQPOV à Avignon

Dominique Pallet est directeur de l’UMR Qualisud (Cirad)