Les six projets financés par l’initiative « Thought for Food » sont arrivés à leur terme en 2020. Un événement dédié à leur clôture a été organisé, en marge de la 4e conférence internationale sur la sécurité alimentaire mondiale « Atteindre la sécurité alimentaire locale et mondiale : à quel prix ? ».
Nous vous proposons une interview du projet Relax.
Présentation du projet :
Entretien avec Sandrine Dury, codirectrice du projet Relax qui vise à promouvoir la résilience des ménages ruraux africains via l’étude des systèmes alimentaires.
Les principaux résultats du projet concernent :
La très faible diversité de l’alimentation des femmes des ménages agricoles. Une enquête durant 12 mois consécutifs dans une région cotonnière de l’ouest du Burkina Faso (le Tuy) auprès d’environ 300 femmes montre que 80 % des femmes présentent une forte probabilité de carences en micronutriments essentiels (score de diversité minimum individuel pour les femmes <5). Ce pourcentage monte à 90% entre août et octobre et descend à 65 % entre mars et juin. Ces variations saisonnières s’expliquent par les fluctuations des revenus agricoles et des disponibilités en produits importants dans la diversité : fruits et légumes. Par ailleurs, la consommation de produits des animaux terrestres (viandes, abats, produits laitiers et œufs) est extrêmement faible et concerne moins de 12 % des femmes. Enfin, les légumineuses sont consommées par 10 % seulement des femmes ! Cette très faible diversité de l’alimentation est confirmée par le suivi décadaire pendant un an de la composition des repas dans 42 ménages agricoles (très peu de protéines animales, peu de plats comportant en majorité des légumineuses à graines), et cela quels que soient l’appartenance ethnique du ménage et le type d’exploitation (avec ou sans coton, importance de l’élevage, etc.). Les travaux réalisés sur les enquêtes qualitatives montrent que la faible diversité alimentaire observée s’explique par des logiques culturelles, sociales fondées sur les perceptions des populations sur l’alimentation et ses implications (logiques de productions, logiques de consommation, ce que les paysans pensent de l’alimentation).
L’insécurité alimentaire par manque de céréales reste une préoccupation essentielle, et la diversité nutritionnelle de l’alimentation n’est pas pensée comme telle, même si la variété (par exemple changer de plat de base, maïs, riz ou pâtes) peut être présentée comme un objectif par les chefs de ménages et leurs épouses.
Les femmes peuvent atteindre un niveau donné de diversité alimentaire par différents moyens plus ou moins complémentaires, qui varient selon les ménages : production agricole autoconsommée, achat sur les marchés, et cueillette. Les différentes sources d’approvisionnement permettent d’accéder à des aliments différents et à différents moments de l’année.
Résilience : Différents événements et changements sur le territoire du Tuy ont fait évoluer la façon dont chaque ménage agricole assure son alimentation ainsi que sa capacité à faire face à l’adversité. Selon les périodes et les événements de leur vie, les ménages agricoles ont assuré une diversité alimentaire minimum bien qu’elle ne soit pas un objectif explicité. Leurs stratégies d’adaptation sont variées et complémentaires : passant par la diversification de la production agricole pour l’autoconsommation, par l’augmentation de la production, la vente et le recours au marché, par la cueillette de produits sauvages ou par le développement d’activités extra-agricoles.
Les arbres non cultivés contribuent à la diversité alimentaire grâce aux produits collectés et consommés ou vendus par des personnes souvent vulnérables (enfants, femmes). Néanmoins, la biodiversité de ces arbres s’érode du fait des extensions agricoles et des coupes de bois. Du fait de cette raréfaction et de la demande extérieure de certains produits (karité, néré), les droits d’accès aux arbres non cultivés qui poussent dans les champs ou les jachères deviennent de plus en plus exclusifs (privatisation d’anciens biens communs) et de moins en moins accessibles pour les plus fragiles.
Les marchés de consommation ont un rôle ambivalent pour les familles agricoles du point de vue de l’alimentation : ils permettent des achats alimentaires de produits importants (poissons frais ou séchés) et ou qui ne peuvent pas être produits par les familles (pâtes alimentaires), mais également de produits de mauvaise qualité nutritionnelle (cubes maggi, sodas, sucre).
La diversité alimentaire commence à être un enjeu de politiques agricoles et de sécurité alimentaire. Une plus grande attention accordée à cet enjeu implique de poursuivre le rapprochement entre acteurs de l’agriculture et de la nutrition, en termes de vision des intérêts de la diversification agricole, de coordination intersectorielle et de mise en œuvre des engagements du pays pour une agriculture sensible à la nutrition.
Le projet est innovant en terme de pluridisciplinarité (agronomie, économie, nutrition, sociologie, sciences politiques) et d’intégration des échelles sociales (de l’individu à la communauté villageoise en passant par les unités de consommation, de production, et d’exploitation), spatiales (de la parcelle au territoire villageois) et temporelles (de la dizaine de jours à l’année).
Le projet est méthodologiquement innovant car il a permis d’articuler dans un cadre commun et cohérent différentes unités d’analyse sociale (de l’individu à la communauté villageoise en passant par les unités de consommation, ou d’exploitation), spatiales (de la parcelle au territoire villageois) et temporelles (de la dizaine de jours à l’année, ou à la durée de vie des ménages).
Il est aussi innovant sur la démarche : introduction de huit spéculations à forte valeur nutritive dans les pratiques agricoles aux doubles fins de diversification de la production et de la consommation. Formation des de 90 femmes dans trois villages (Wakuy, Gombélédougou et Makognadougou) sur la transformation du Soja en soumbala, en beignet et en brochette. L’évaluation a permis de comprendre que certains ont de nos jours intégré certaines spéculations dans leur alimentation. Il s’agit de deux légumineuses : pois mungo et du soja. Cela montre la capacité à intégrer des aliments nouveaux dans le répertoire alimentaire.
Il a permis d’intégrer un questionnement sur la consommation alimentaire, et notamment la diversité alimentaire, dans différentes approches disciplinaires et en articulation avec différentes thématiques : la modélisation des socio-écosystèmes (village ou ménage agricole), le fonctionnement des ménages agricoles, la gestion et les performances des exploitations agricoles, l’analyse des politiques publiques. Le paysage rural, l’agriculture, l’élevage et la gestion des ressources naturelles, de même que les marchés sont analysés dans leur capacité non seulement à fournir des produits de base, mais également des produits diversifiés, en particulier pour les plus vulnérables.
Les résultats mettent en avant la complémentarité des leviers d’amélioration de la diversité alimentaire, souvent présentés comme antagonistes : spécialiser diversifier ou spécialiser la production agricole ; promouvoir l’accès à la diversité alimentaire via l’auto-consommation ou l’achat d’aliments.
En matière de recommandations de politiques, il importe du coup tout autant d’améliorer la diversité de l’offre agricole, de l’approvisionnement des marchés et de préserver la biodiversité liée aux arbres non cultivés. Surtout, il permet de montrer que les solutions pour améliorer la diversité alimentaire dépendent aussi des ménages et de leurs différences ressources économiques, sociales et culturelles.
Sandrine Dury, adjointe à la direction du département Environnements et Sociétés, économiste agricole et de l’alimentation (HDR), chercheuse associée à l’UMR Moïsa.